Voici une lecture jubilatoire pour les vacances et pas que! Tout y passe (à l’exception des questions monétaires) : La politique de l’offre vs la politique de la demande, le protectionnisme, le déficit trompeur de la balance commerciale, l’indépendance nationale, le made in France… Et j’en passe!
Le défenseur du made in France, le héros malheureux qui tue plus d’emplois et met à mal l’avenir en croyant « protéger les français » surtout contre d’eux-mêmes et de leur talent.
Bouffée d’oxygène garantie! Et que dire du commentaire lamentable oeuvre des gauchistes d’alternatives économiques au moment de la réimpression de cet ouvrage essentiel :
« Ces sophismes (« raisonnement faux malgré une apparence de vérité », nous dit Le Robert) ont été écrits par Bastiat entre 1846 et 1850 (année de sa mort, à 49 ans). Il ne s’agit donc pas d’une nouveauté, même si leur dernière édition complète en langue française datait de 1884 (tomes IV et V des Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, chez Guillaumin). Toutefois, plusieurs livres comprenant certains des sophismes les plus célèbres, mais aussi d’autres extraits d’œuvres du même auteur, sont parus relativement récemment: Aimez-vous Bastiat?, de Jacques Garello ou Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, tous deux aux éd. Romillat. Pourquoi donc tant d’intérêt pour des textes tombés pour la plupart dans l’oubli ou presque?
Une explication nous est donnée par le préfacier de cette nouvelle édition, Michel Leter, citant Hayek: « C’est la faculté à exprimer une idée par une fulgurance qui m’invite à utiliser le mot de génie à propos de Frédéric Bastiat. » De fait, le député des Landes qu’était Bastiat excelle à trouver la métaphore qui fait mouche ou la phrase assassine. Et il cultive l’art de tourner en ridicule les propositions auxquelles il s’attaque. Sa « Pétition des fabricants de chandelles, bougies, lampes (…) », qui dénonce « l’intolérable concurrence » du soleil et, au nom de la défense de l’emploi et de l’activité, demande aux députés de voter une loi imposant la fermeture des « fenêtres, lucarnes, abat-jour, contrevents (…) », est restée célèbre. Et il est vrai que c’est un modèle d’ironie bien troussée. Mais, enfin, les gens qui savaient admirablement manier la plume au XIXe siècle ne manquaient pas, même chez les économistes.
La très riche palette littéraire de Bastiat ne cache ni la minceur de son argumentaire théorique – tout juste peut-on le créditer d’avoir inventé le concept de coût d’opportunité – ni le nombre limité de ses centres d’intérêt: le libre-échange, l’abolition des taxes et la dénonciation de l’Etat spoliateur. Rien, en tout cas, qui justifie le terme de « génie », ni même celui d’économiste. Si l’on peut trouver du plaisir à la lecture de ces Sophismes (encore que, à la longue, le refrain libre-échangiste devienne lassant), ses Harmonies économiques, la seule oeuvre que Bastiat lui-même estimait importante (il parlait de ses Sophismes comme d’un « petit livre ») tirent vite des bâillements prolongés au lecteur, tant la dénégation de la réalité sociale tourne au prêche, le libéralisme économique étant alors confondu avec la volonté divine.
Reconnaissons donc à Bastiat un réel talent littéraire et un don certain pour la formule. Mais il ne suffit pas de bien écrire et d’avoir la plume acérée pour faire sa trace dans l’histoire de la pensée. Ne confondons pas les polémistes et les théoriciens. Le Bastiat polémiste peut être plaisant, mais mieux vaut laisser le Bastiat théoricien à la « critique rongeuse des souris »
Il y a ce qu’il se voit et ce qu’il ne se voit pas : Voilà trop longtemps qu’on ne veut plus voir et surtout lire Bastiat : Régal et virtuosité intellectuelle.
Non seulement je n’ai pas baillé mais j’ai reconnu, conformément à la préface, la portée immense et intemporelle du « petit livre ». Non seulement sa défense acharnée du consommateur et du progrès stimulé par la concurrence, par le libre échange, par la modération des impôts – rapidement démasqués par leurs caractères spoliateurs – me paraissent éminemment actuels mais en plus nullement poussiéreux face à la sombre nullité des arguments avancés par l’extrême gauche ou l’extrême droite de nos jours.
On peut même aller plus loin et deviner chez Bastiat la critique des libéraux envers le Général De Gaulle qui, bien qu’en rupture avec son temps et ses errements dramatiques de mai 1940 aux événements de 1958, n’a pas osé rompre avec les travers dirigistes du Bonapartisme : Se faire une certaine idée de la France est un excellent point de départ, se faire une place dans le concert des Nations avec les moyens de l’indépendance nationale (la bombe nucléaire) en pleine guerre froide était un mal nécessaire et fort utile. Certes, sur ces points, le militaire lettré et féru d’histoire et profondément au service de son peuple ne pouvait guerre s’égarer. Mais il ne faut pas que la critique de la forme d’utopie libérale fondée sur les risques encourus par la démocratie libérale prétendument naïve face à des états plus ou moins bien intentionnés ne justifie une militarisation ruineuse, une exacerbation du patriotisme se nourrissant autant de ressentiments historiques que d’un rejet de la dévalorisation culturelle/civilisationnelle récente et malsaine…
Ce que ne veulent pas voir nos bons gauchistes d’Alternatives, c’est que Bastiat tapait autant et avec la même justesse sur les conservateurs obtus de droite et les progressistes totalitaires de gauche… Tant la langue et le verbe sont haletants, précis, et argumentés, il est purement et simplement ridicule de feindre croire que la critique des marchants de lampes à pétrole du XIXème siècle n’a aucune résonance au discours simpliste et misérable que nous offrent les tenants d’une « autre politique » de nos jours…
Bastiat fut et reste génial et contemporain, à lire d’urgence!